ectoplasma


Année 1980.
J’ai huit ans. J’ouvre les yeux. Je suis dans mon lit. Il fait nuit. Il fait noir.
Une ombre me regarde. Immobile.

Je suis pétrifié. Je n’ose bouger, de peur qu’elle me voie.
Autour de moi, mes compagnons en peluche, poupées de chiffon, avatars muets de mon monde d’enfant me protègent, ma tête, parmi les autres reste figée — comme si l’immobilité pouvait me sauver.
Je retiens mon souffle. Je respire à peine.

Il est là, au pied de mon lit.
Une silhouette d’homme, obscure, drapée d’ombre.
Un point rouge vacille dans la nuit : le tison d’une cigarette, Il fume.
Je ne distingue pas son visage — la pénombre le dissimule.
Il ne bouge pas. Il m’observe,  j’ai peur.

Une peur nue, primitive, comme si ma vie allait s’éteindre.

Alors, dans un élan désespéré, je bondis hors du lit, tentant d’avoir le dessus sur la terreur.
Je cours, les jambes floues, poursuivi par l’idée même de la mort.
J’arrive dans la chambre de mes parents, haletant, le cœur battant, affolé.
Je saute sur le lit, me jette contre ma mère endormie.
Je lui raconte , tremblant qu’il est là, au bout de mon lit, dans l’ombre, que je ne sais pas ce qu’il veut.
Elle me rassure doucement. Elle se lève. Va voir. Allume la lumière. Rien. Personne.

Je reste collé à elle. Elle se rendort.
Moi, je suis toujours transi.
Je ferme les yeux. Les rouvre.

Et ils sont là.
Multipliés autour du lit. Une dizaine de silhouettes sombres, figées dans l’obscurité, toutes tournées vers moi.
Chacune a un tison rouge entre les lèvres.
Toutes me regardent.

Je n’ose plus bouger.
Je les observe longuement, sans respirer, pétrifié.

Je réveille à nouveau ma mère.
Elle allume la lumière.
Rien. Plus rien.

Je ne les reverrai jamais.

Ce jour-là, mon oncle — celui que je n’ai jamais connu — est mort.
Mort d’avoir trop fumé.
Il avait promis de venir me voir...

Depuis, j’écoute le grain du silence, j’observe les taches de lumière sur le grain des murs de noirceur, là où l’ombre imprime encore des visages oubliés,
reflets d’âmes capturées dans un noir et blanc éteint,
immobiles, peut être celui des “autres” que personne ne voit.

Cette série photographique est une errance poétique, chaque photo en appelle une autre — comme si le sujet refusait de se taire.
Je suis à la recherche de cet ectoplasme disséminé dans l'espace et dans le temps.




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